In Limine
Des origines de nos croyances… aux prémices de nos émancipations
La caricature, expression contre la norme et la hiérarchie
Categories: Autre auteurs

fete_des_fous-01

 

Fichier PDF : La caricature expresssion contre la norme et la hierarchie

 

sherman224

 

 

La caricature, expression contre la norme et la hiérarchie

(Extrait du texte De la photographie au texte de Morad Montazami, in Vérité et mensonge au sens extra-morale, dossier de la collection folioplus philosophie, Friedrich Nietzsche, éd. Folio, 2009, pp. 33-37)

La caricature entretient par définition une parenté inextricable avec les dessins d’enfants ou l’art des fous, avec toute œuvre dont les ressorts plastiques échappent fondamentalement à la théorie et aux canons de composition (« les règles de l’art ») pour se manifester plutôt comme translation graphique de la psyché ; saut instantané de l’esprit au crayon, en quelque sorte. Jean Dubuffet, qui la plus grande partie de sa vie ne cessa de collectionner et de diffuser les œuvres de psychotiques, n’en montre pas moins, pour l’histoire de l’art, que Nietzsche n’en montre pour l’histoire de la philosophie. L’intellect humain, loin d’assurer le savoir et la connaissance, et plutôt que d’en assurer le progrès, doit aller vers sa propre mise en crise (le même intellect qui nous fait reconnaître une « chaise » ou une « fenêtre » comme telle) par la stimulation, pour tout un chacun, de son propre instinct artistique et créateur de formes. Cette stimulation doit nous aider à nous « détromper », selon Nietzsche, des formes que nous tenons pour objectives et nous conduire à nous demander plutôt quel travail de perception (quel « excitation nerveuse ») ces formes déclenchent en nous. Nietzsche aurait pu entièrement reprendre à son compte cette pensée de Dubuffet, considérant que le psychisme du vacher ne présente en aucun cas moins d’intérêt que celui du savant docteur. La vraie caricature distille toujours cette verve contre la norme et contre la hiérarchie. Cindy Sherman, en artiste enfant qui nous montre l’entrelacement du jouer et du jouïr dans sa propre parure grotesque, caricature une autre œuvre à visée déjà caricaturale. Il est particulièrement significatif que Nietzsche recourt à l’image du jouet détruit/reconstruit anarchiquement – entendons littéralement sans hiérarchie (ou sans système) – pour établir la possibilité de la falsification comme investigation productive de la réalité et du vrai. De fait, on ne falsifie toujours qu’à partir du déjà existant. Ainsi, contre toute interprétation tautologique de Sans titre #224 et de sa filiation au tableau du Caravage, nous préférons dire qu’elle casse un « jouet » de l’histoire de l’art pour mieux retourner contre la discipline historique son pouvoir d’hétérogénéité, de fantasme (plus que de connaissance) et de dualité (pensons à l’enfant émerveillé par le pouvoir de dédoublement que lui offre le déguisement).

Le site de Cindy Sherman : http://www.orlan.eu/

Fête_des_fous,_1559,_d'après_Brueghel_gravé_par_Pieter_Van_der_Heyden.

Comments are closed.