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L’égoïsme – L’égoïsme contre l’égo (par P. Wotling)
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L’égoïsme

L’égoïsme contre l’égo

La passion du désintéressement et son sens selon Nietzsche

(Extrait de Patrick Wotling, La philosophie de l’esprit libre – Introduction à Nietzsche, Champs essais 2008, in § L’égoïsme, pp. 282-284)

Si l’altruisme pur est une chimère, l’égoïsme est de son côté à repenser entièrement ; l’idée d’égoïsme ne peut être recevable philosophiquement que si elle est séparée de l’idée de moi unitaire (dans le texte d’Ecce homo, le terme d’ « ego » relève d’un emploi imagé, et ne désigne donc pas une substantialité métaphysique, ni une unité irréductible), et des schèmes de pensée idéalistes sur lesquelles elle repose ordinairement – schèmes qui gouvernent secrètement, selon Nietzsche, toute la tradition philosophique -, et reliée en revanche à la vie pulsionnelle, dont elle exprime (en dehors de toute considération morale) un trait fonctionnel capital. Une pulsion non égoïste est une contradiction dans les termes, comme l’indique par exemple le texte posthume suivant : « Des actes non égoïstes sont impossibles ; « instincts non égoïstes » sonne à mes oreilles comme « fer en bois ». Je voudrais voir quelqu’un essayer de prouver la possibilité de pareils actes : quant à leur existence, il est trop vrai que la foule y croit, et tout ceux qui sont à son niveau – ceux par exemple qui appellent l’amour maternel ou l’amour en général quelque chose de non égoïste. »

Il devient donc nécessaire de penser un égoïsme sans ego, c’est-à-dire de reconnaître avant tout le caractère multiple de la personne, du soi-disant « sujet », et refuser la tendance métaphysique qui pousse toujours à réduire le multiple à de l’unité. Il n’y a pas d’égoïsme de l’ego, mais en revanche il y a bien en tout vivant des « intérêts » fondamentaux qui ne sont rien d’autre que les besoins qui s’expriment à travers les pulsions organisant et guidant la vie et l’agir de ce vivant : c’est à cela que se réfère la formule « devenir celui que l’on est ». De sorte également que nier l’égoïsme revient à dénier au vivant son caractère vivant, position foncièrement contradictoire, de même que, pratiquement, chercher à bloquer la satisfaction de ces intérêts fondamentaux ne peut qu’être l’expression d’une forme particulière de besoin du vivant, lisible selon les analyses nietzschéennes comme un retournement de la vie contre elle-même, donc comme une forme de vie qui exige, pour se maintenir encore, de rechercher, à terme, son propre anéantissement. Défendre les droits de l’égoïsme s’avère ainsi, chez Nietzsche, viser tout autre chose qu’une médiocre et facile recherche de satisfactions terre à terre. C’est au contraire s’éduquer à la première vertu du philosophe : s’imposer la rigueur d’une discipline pulsionnelle au service de l’indépendance.

La belle ferronnière_Vinci

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