In Limine
Des origines de nos croyances… aux prémices de nos émancipations
La raison gouverne le peuple – politique : allégorie du Corps

ecce_homo_Antonio Ciseri

 

Fichier PDF : La raison gouverne le peuple

La raison gouverne le peuple – politique : allégorie du Corps

 

 

 

La raison a-t-elle ce pouvoir de gouverner nos pulsions comme le laisseraient croire nos certitudes envers sa supériorité ?

 

 

Ou serait-elle, sinon supérieure, du moins partie constituante de cet ensemble de pulsions et d’affects qui forment notre corps ?

 

 

En d’autres termes, ne serait-elle pas « tout simplement » comme un organe, une pulsion nécessaire à toute vie, qui, par sa constitution toute particulière, fait œuvre de maintenir la vie en sa forme donnée à un moment donné ?

 

 

« Grain de déraison » ?

 

 

Elle doit être une forme de gouvernement qui, si elle n’est supérieur, n’est au fond qu’une partie d’un tout dans lequel elle s’insère, comme elle en émerge, afin d’en diriger par compromission la pérennité.

 

 

Sa forme de gouvernement, pour peu qu’elle devienne tyrannique, nous fait alors croire à sa divine supériorité, tout comme le gouvernement des nations nous semble bien haut placé dans notre esprit.

 

 

 

« NOUVELLE ET ANCIENNE CONCEPTION DU GOUVERNEMENT. – Distinguer entre le gouvernement et le peuple comme entre deux sphères séparées de puissance, l’une plus forte et plus élevée, l’autre plus faible et inférieure, traitant ensemble et s’unissant, comme un reste de sentiment politique transmis par hérédité, qui, dans la plupart des États, correspond encore exactement à la constitution historique des rapports de puissance. Quand, par exemple, Bismarck définit la forme constitutionnelle comme un compromis entre gouvernement et peuple, il parle conformément à un principe qui a sa raison dans l’histoire (et par là aussi, il est vrai, le grain de déraison sans lequel rien d’humain ne peut exister). On doit maintenant apprendre à l’opposé – conformément à un principe qui est une pure création de tête et qui n’est encore qu’à la veille de faire l’histoire – que le gouvernement n’est rien qu’un organe du peuple, et non pas un prévoyant et respectable « dessus » par rapport à un « dessous » accoutumé à la modestie. Avant d’admettre cet énoncé jusqu’ici non historique et arbitraire, quoique plus logique, de la conception du gouvernement, considérons-en au moins les suites : car les rapports entre peuple et gouvernement sont les rapports typiques les plus forts sur lesquels se modèlent involontairement les relations entre professeur et élève, maître et serviteur, père et famille, chef et soldat, patron et apprenti. Sous l’influence de la forme dominante du gouvernement constitutionnel, toutes ces relations se modifient aujourd’hui quelque peu ; elles deviennent des compromis. Mais quelles vicissitudes et quelles déformations devront-elles subir, quels changements de nom et de nature, une fois que cette conception toute nouvelle se sera partout rendue maîtresse des cerveaux ! – il est vrai qu’il pourrait y falloir encore un siècle. À ce propos, rien n’est plus à souhaiter que la prudence et l’évolution lente. » Friedrich Nietzsche, aphorisme 450 d’Humain, trop humain.

 

 

 

 

 

 

 

Mais si nous plaçons le gouvernement aussi haut dans une hiérarchie que nous créons nous-même, n’est-ce pas parce qu’à toute chose nous avons le besoin de faire correspondre une cause ?

 

 

N’est-ce pas parce qu’à notre instinct de toujours pointer en avant l’index de la justice nous avons l’absolue prétention d’y faire précéder la puissance de la volonté ?

 

 

Cette volonté n’en est que plus reine si sur elle reposent toutes nos croyances et certitudes. Tout le reste alors sous la raison doit se soumettre. Une puissance qui ne repose que sur la croyance « superstitieuse » en sa propre puissance…

 

 

 

« LES ARBITRES APPARENTS DE LA PLUIE ET DU BEAU TEMPS EN POLITIQUE. – De même que le peuple suppose tacitement chez l’homme qui s’entend à la pluie et au beau temps et les prédit un jour à l’avance, le pouvoir de les faire, de même aussi des gens, même cultivés et savants, attribuent aux grands hommes d’État, à grand renfort de foi superstitieuse, toutes les révolutions et les conjonctures importantes qui ont eu lieu durant leur gouvernement comme une œuvre qui leur est propre, pourvu qu’il soit évident qu’ils en aient su quelque chose plus tôt que d’autres et qu’ils aient fondé là-dessus leurs calculs : on les prend donc également pour des dispensateurs de la pluie et du beau temps – et cette croyance n’est pas ce qui sert le moins à leur puissance. » Friedrich Nietzsche, aphorisme 449 d’Humain, trop humain.

 

 

 

 

 

 

 

Mais il n’apparaît alors à la raison qui doute, dont la foi en elle-même s’est ébranlée par l’exclusion de tout autre croyance de la lumière de son royaume, et qui se retrouve alors trop seule pour régner, que le salut ne peut provenir néanmoins que d’elle-même.

 

 

Espérer la justice des dominés, ne serait-ce pas avoir espoir en ce que la brebis pardonne au loup d’avoir dévoré ses agneaux ?

 

 

Ce qu’il apparaît nécessaire de faire pour le devenir devrait-il être fait par ressentiment ? L’immoralisme n’est au fond qu’un moralisme de plus haute volée. Ou une façon de vivre en bon Européen…

 

 

 

« JUSTICE COMME MOT D’ORDRE DE PARTIS. – Il se peut bien que des représentants nobles (quoique peu intelligents) des classes dirigeantes prennent cet engagement : « Nous allons traiter tous les hommes en égaux, leur reconnaître des droits égaux » ; en ce sens, une conception socialiste, reposant sur la justice, est possible, mais, comme j’ai dit, seulement au sein de la classe dirigeante qui dans ce cas exerce la justice par des sacrifices et des abdications. Au contraire, l’égalité des droits, comme le font les socialistes des classes assujetties, n’est jamais l’émanation de la justice, mais de la convoitise. – Si l’on montre de près au fauve des morceaux de viande sanglante, puis qu’on les retire jusqu’à ce qu’enfin il rugisse : pensez-vous que ce rugissement signifie justice ? » Friedrich Nietzsche, aphorisme 451 d’Humain, trop humain.

 

 

Toute raison a son propre but qui ne peut que trouver sa limite à un certain moment. C’est d’ailleurs croire en une vérité universelle qui puisse un jour s’imposer et diriger le monde que de penser que la raison est chose elle-même universelle ayant sa destinée dans la direction des affaires humaines : illusion en un progrès qui tourne sur lui-même !

 

 

Notre humanité s’est construite sur cette illusion néanmoins ; elle ne peut malgré tout, une fois la brume des rêves dissipée, dissimuler plus longtemps les relents de ses petits calculs.

 

 

 

« PAS TROP PROFONDÉMENT. – Les personnes qui ont embrassé une cause dans toute sa profondeur lui restent rarement fidèles à jamais. Justement, elles ont mis au jour la profondeur. Il y a toujours beaucoup de mauvais à voir. » Friedrich Nietzsche, aphorisme 489 d’Humain, trop humain.

 

Fille après le bain_Karoly Lotz

 

Comments are closed.